lundi 25 mai 2020

Vous avez dit "gonzo"?

Un truc dans cet esprit?
Extrait de la couverture de Eden. Par Vince.
Rifts est un jeu de rôle "gonzo". Je l'ai souvent lu et ça m'est arrivé de l'écrire moi-même, sur les forums comme sur mes blogs. 
Mais ça veut dire quoi "gonzo"?

Le mot vient de l'italien et signifie "idiot, crédule, dupe". Passons rapidement sur le personnage du Muppet Show et le studio japonais portant ce blaze et attardons-nous plutôt sur la pornographie gonzo et le journalisme gonzo.

La pornographie gonzo ce sont les films de fesses où l'on ne s'encombre pas (plus) de scénario et de dialogues, on va directement à la scène de cul (et, souvent, en caméra subjective). Vous imaginez le plombier qui arrive chez madame pour s'occuper de sa tuyauterie? Ben, dans un film gonzo, on enlève tout ce qui précède la baise. Vous ne verrez pas madame reluquer le fessier de l'artisan alors qu'il fait semblant de s'activer sous l'évier. Vous ne saurez même pas que monsieur était plombier.
À poil, direct.

Le porno gonzo s'est vue attribuer ce qualificatif en référence au journalisme gonzo. Le journalisme gonzo c'est une forme d'écriture journalistique où l'auteur·e cherche à s'affranchir à dessein de l'objectivité et de la neutralité attendues (en temps normal). C'est au·à la lecteur·trice d'effectuer le travail de reconstitution du réel, de la "vérité". Dit autrement – si j'ai bien compris –: l'objectivité doit naître de la rencontre entre la subjectivité de l'auteur et celle du·de la lecteur·trice.
Porno et journalisme gonzo partagent la mise en avant du point de vue de l'acteur·trice / auteur·e. Il ne s'agit plus d'avoir un regard distancié sur le monde mais bel et bien de le voir à travers le regard de l'autre.

Mais alors, en quoi ça consiste un jeu de rôle "gonzo"?

J'arrive très bien à me représenter un film porno subjectif ou un récit journalistique subjectif. Dans les deux cas, je crois avoir intégré en quoi consiste la dite subjectivité, qu'il s'agit du positionnement du·de la narrateur·trice. 
Mais un jeu de rôle "subjectif", c'est quoi? Et en quoi ça consiste alors un jeu de rôle "objectif"?

Certes, dans le cas du JdR, il y aussi de la narration et un positionnement du·de la narrateur·trice (même si je n'avais jamais vraiment réfléchi à celui-ci) mais, contrairement au porno et au journalisme, il ne s'agit plus de dire quoi que ce soit du réel et d'une quelconque vérité. Dans un jeu de rôle, considérant qu'il s'agit de raconter à plusieurs une histoire imaginaire dans un monde imaginaire, j'ai beaucoup de mal à situer la part subjective. J'ai l'impression que TOUT est subjectif dans un JdR.

Mais, si tout est subjectif, un jeu de rôle "gonzo" ça ne veut plus dire grand chose, non?

Dans un JdR, il y a, grosso modo, des règles, un univers et des scénarios. Rifts est pourvu de règles (mauvaises), d'un univers (génial) et de scénarios... Ah non, on vient de me rappeler dans l'oreillette qu'il n'y avait pas de scénarios pour Rifts¹. C'est l'univers de Rifts que l'on qualifie de "gonzo" en temps normal [mais ça serait intéressant d'imaginer des règles de jeu ou des scénarios "gonzo"].
Qu'est-ce qui fait de l'univers de Rifts un univers "gonzo"? Les commandos d'hommes-chihuahuas? Les dauphins en armure bionique? Les pistolets à eau anti-vampires? Les samouraïs à moto? Les kangourous géants carnivores? Les Grands Anciens capitalistes? Oui... Et non.

Ce n'est pas parce que Kevin Siembieda met tout et n'importe quoi dans Rifts qu'il en fait un jeu "gonzo" pour autant. Rifts est un jeu de rôle gonzo parce que, pour Kevin Siembieda, Rifts est, en soi, hyper-subjectif. Du moins, c'est comme ça qu'il propose la chose: K.S. a mis dans Rifts tous ses délires et toutes ses envies et il invite les utilisateurs·trices du jeu à faire de même. Et entre les délires et envies des un·es et des autres, il n'y a RIEN. "Endless possibilities, limited only by your imagination", le slogan de Palladium Books ça peut être une métaphore du vide.

Nombreux et nombreuses sont les concepteurs et conceptrices de jeux qui ont à cœur de partager les univers qu'il·elles ont créés. Ces univers ont été créés subjectivement mais, in fine, ils existent objectivement, même dans un imaginaire partagé. Une objectivité assez étrange puisqu'elle ne correspond à aucune réalité ou vérité en soi mais une objectivité néanmoins perceptible et racontable. Et c'est ainsi que des univers de jeu comme Glorantha, Tékumel, Mystara, le Monde des Ténèbres ou le Massachusetts de HPL finissent par prendre forme. Mais ce n'est pas la même chose pour la Terre des Rifts où l'on chercherait en vain un "canon", des mythes fondateurs ou ne serait-ce qu'une approche un peu sérieuse de la chose.
Car, pour Kevin Siembieda, la Terre des Rifts est juste un terrain de jeu. Et un moyen d'engranger des dollars.

K.S. en a tellement rien à carrer de la réalité objective de son jeu qu'il accorde le même soin à ses règles qu'à son background. Il y a des (mauvaises) règles dans Rifts mais leur auteur lui-même ne s'en sert pas (ou ne s'en sert plus, je doute que K.S. masterise encore beaucoup de parties)! D'ailleurs il n'a même pas pris la peine de vraiment les expliquer... Si ce n'est pas de l'hyper-subjectivité ça.

Bon, je vous raconte tout ça mais je me rends bien compte que c'est encore un peu confus. Mais ça n'a aucune espèce d'importance car, au final, tout le monde vous dira que Rifts c'est gonzo parce qu'il y a des hommes-chihuahuas dedans.

¹ Hormis celui (mauvais) de Rifts Sourcebook One et quelques autres (pas très bons et rachitiques) éparpillés parmi les quelques 90 ouvrages de la gamme.

"T'as un peu mélangé les genres, là?" "Ouais gros, c'est du JdR gonzo."
Par James Daly (original ici).

1 commentaire:

  1. J'ai vu une définition du terme Gonzo (pour le Journalisme) qui disait Gonzo, fou, bizarre, extrême, excentrique, exagéré et totalement personnel, en parlant du style du journaliste. Le magazine Vice par exemple est considéré comme un magazine de journalisme Gonzo. Je pense que c'est cet aspect qui est retenu dans la pop culture pou définir une oeuvre Gonzo, musique, BD, jeu de rôle, quelque chose de fou, bizarre, extrême, excentrique, exagéré et totalement personnel, j'ai beaucoup de disque comme ça par exemple que j'ai vu qualifié de Gonzo par les critiques musicales, c'est pour cela qu'on associe beaucoup ce terme à l'OSR aussi je pense vu l'étrangeté assez radicale de certains univers qui sont souvent, en plus, des visions très personnelles de l'auteur.

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