mercredi 8 avril 2020

Images & imaginaires en mode décalé: Laborinthus

"T'es sûr que c'est un Jeu de Rôle ?" "Ben..."
Vous avez lu mon article d'hier? Non? Ben lisez le car, présentement, ce post en est la suite directe.

Vous connaissez Laborinthus? Pour des raisons diverses et variées, je cherche à me procurer l'objet. J'en ai trouvé, et réservé, un exemplaire mais je dois attendre la fin du Confinement pour le recevoir. J'ai hâte.
Je vous cite le Grog:

"Laborinthus semble être, à tous points de vue, un OVNI dans le paysage ludique : paru en 1988, il propose d'incarner des héros dans un monde médiéval-onirique. Le background n'est pas clairement défini, mais laisse à chaque meneur de jeu le soin de développer l'univers comme il l'entend : outre un accent particulier que l'auteur met sur la lignée dont les PJ sont issus, tout le reste est laissé à l'appréciation des joueurs ou du MJ. Seules quelques pistes sont suggérées, en proposant des cartes de rencontres à tirer au hasard (créatures, gibier ou engins) et qui pourront venir pimenter les parties.

L'une des principales caractéristiques du jeu est son aspect visuel : ici, le scénario est baptisé "scénarium", vu que son développement repose majoritairement sur des photos à présenter aux joueurs. Le but de Laborinthus n'est pas de donner un carcan rigide mais, bien au contraire, de fournir quelques outils permettant de mieux improviser le monde ou les rencontres. Les trois lots de cartes illustrées (Engins, Créatures et Gibier, appelées "cartes ecg") sont à employer dans ce sens : si les joueurs désirent chasser, le MJ peut leur présenter l'une des fourres (Gibier, le cas échéant) et les laisser tirer une carte au hasard. Celles-ci représentent, sur leur recto, une illustration ainsi que le nom du Gibier, de la Créature ou de l'Engin et, sur leur verso, proposent une description ainsi que quelques caractéristiques qui permettront au meneur de jeu d'improviser la rencontre. Dans la même optique, des "photogrammes" sont proposés avec chaque scénario : sur son recto, ce document présente une photo en noir et blanc et, sur son verso, donne des indications au meneur de jeu afin de l'aider à jouer la scène représentée par le photogramme. Les photogrammes, associés aux cartes ECG, donnent au jeu un côté très visuel visant à faciliter l'improvisation, et remplaçent les descriptions du MJ (ou les renforçent) par la présentation d'une image et son analyse par les joueurs : chaque scénarium possède, du coup, un rythme propre, marqué par l'apparition des différentes photographies qui créeront autant de scènes. Les transitions entre les différents "photogrammes" peuvent être assurées par de l'improvisation, nourrie éventuellement par le tirage d'une carte ecg, ou par une rencontre ou une trouvaille tirée aléatoirement sur une table. C'est donc ainsi que se contruit le scénario : le synopsis, couplé avec les "photogrammes", permet d'animer chaque scène-clé de l'intrigue, tandis que les cartes ecg fournissent la matière au MJ désireux de mettre en scène une rencontre originale. 

Si le background laisse une grande liberté aux joueurs, il en va de même pour les règles : lors de la création des personnages, le meneur de jeu est invité à définir clairement, pour chaque joueur, une ascendance précise, qui pourra être à la source de nouvelles idées ou d'improvisations en cours de partie. Chaque personnage se verra conférer un grade (de * à *****), qui symbolise sa progression dans ses quêtes personnelles, tirera au sort deux caractéristiques (puissance et habileté) et fera une description de son équipement (armes et armure). Chaque PJ est donc doté de deux caractéristiques qui, à elles seules, suffiront à résoudre toutes les situations au moyen de deux tables universelles. 

Le système de jeu repose sur deux tables à entrées croisées. Sur la première, le MJ croise le grade du PJ avec le résultat d'un dé lancé par le joueur: le résultat est exprimé par une lettre, qui est à croiser sur un autre tableau en fonction de la difficulté de l'action. L'action est alors soit réussie, soit échouée. La table de combat est, elle aussi, claire et ne fournit que le résultat global du combat au moyen d'un pictogramme. Notons que les tables, fournies en annexe, sont toutes calligraphiées. Le système de jeu est simpliste et peu simulationniste, et vise à laisser la part belle à l'imagination et à l'improvisation. L'usage des cartes ecg permet l'introduction d'éléments inattendus dans les scénarios (même pour le MJ !). Seul le dé à six faces est employé, et avec une certaine parcimonie. 

Ces caractéristiques suffiraient à justifier le qualificatif d'OVNI pour Laborinthus, mais c'est sans compter ce qui marque d'emblée : le jeu est publié à un format très inhabituel (47 x 22 x 4,5 cm) et un soin tout particulier semble avoir présidé à son élaboration : en tête d'ouvrage, dans le livre de base, on trouvera un justificatif du tirage, qui mentionne les quelques exemplaires de luxe (reliés pleine peau et dorés à chaud) et, surtout, présente le numéro du volume consulté, car chaque exemplaire est numéroté. De même les cartes en couleurs présentent chacune une illustration originale créée pour Laborinthus. Toutefois cette qualité avait un prix, déjà à l'époque de sa parution, qui faisait de Laborinthus l'une des boîtes de base les plus chères de l'histoire de l'édition rôliste. Pour finir, la dernière caractéristique de ce jeu est sa provenance : il s'agissait du premier jeu de rôle suisse."

Très particulier, non? J'ai hâte de découvrir ce jeu.

Il y a un aspect qui m'intrigue tout particulièrement c'est le décalage entre la thématique (supposée?) de ce jeu et les illustrations qui l'accompagnent. C'est d'ailleurs pour ça que je vous en parle.
Laborinthus est, à priori, un jeu de rôle médiéval-fantastique "comme les autres". Même si le jeu se qualifie lui-même de "médiéval-onirique". On y joue de preux chevaliers·dames avec épée et armure dans un royaume tout ce qu'il y a de plus moyenâgeux. De prime abord.

Mais quand on regarde les images qui accompagnent le jeu, ce n'est plus la même...

"C'est peut-être un supplément pour Maléfices ou L'AdC en fait."
La boîte de base de Laborinthus est accompagnée d'un scénario. Hum... Pardon: d'un "scénarium": "Marrouques ou le Roi Rospreux", première partie d'une campagne (poursuivie par le supplément Abraxas ou les Songes d'En Maalk), "La tétralogie de Marrouques". Ce "scénarium" se présente sous la forme de deux feuillets et dix photographies comportant des indications à leur verso. Les quatre pages présentent le récit dans ses grandes lignes, l'ordre des scènes (une sorte de synopsis), la liste des PNJ, quelques remarques de background et un arbre généalogique.

Les dix photographies – l'auteur·e les appelle "photogrammes" – qui accompagnent ce scénario sont assez surprenantes. Tout d'abord ce sont des photographies. Un support ô combien atypique pour un jeu qui se veut "médiéval-onirique".
Ces dix photographies sont très belles. Si j'ai bien compris, elles proviennent toutes des collections de l'Université de Lausanne. Et, que ce soit par leur forme – elles sont en noir et blanc – ou leur sujet, elles ont l'air de dater du XIXe siècle ou des débuts du XXe. Ce faisant, on s'éloigne un peu, beaucoup, du thème supposé du jeu. En effet, si ces photographies fonctionnent assez bien avec la partie "onirique", elle ne cadrent guère avec la partie "médiévale" de l'univers suggéré...

"Le monstre que je dois poutrer a été peint par Cézanne. Et toi?" "Van Gogh je crois. Ou Dali."
Autre élément graphique décalé: les illustrations des cartes "Engins", "Créatures" et "Gibier". Elles sont dans un tout autre style que celui auquel les rôlistes se sont accoutumé•es. On est plus proche de Salvador Dali et Paul Gauguin que de Keith Parkinson ou Gerald Brom. Ces illustrations sont jolies, plutôt figuratives – mais on pourrait en douter –, et, surtout, elles me font penser à des peintures du XIXe siècle ou des débuts du XXe. Oui, comme les photogrammes.
Et, toujours comme les photogrammes, ces peintures fonctionnent bien avec le volet "onirique" de ce jeu. Pour le volet médiéval vous repasserez.

Qu'en dire? Que c'est beau. Que Laborinthus a une proposition graphique particulièrement iconoclaste et décalée. Que cette proposition n'est pas gratuite mais correspond à des aspects spécifiques du jeu. Que le volet graphique de ce jeu emmène en des terres imaginaires auxquelles nous sommes peu habitué·es.

C'est ce dernier aspect qui m'intéresse: emmener joueurs et joueuses ailleurs, là où il·elles ne s'attendent pas à aller. Et, suivant l'exemple de Laborinthus, je me surprends à penser que des photographies et des peintures "classiques" peuvent participer à l'élaboration et au partage d'un univers imaginaire¹.

Si j'ai dit des bêtises concernant ce jeu dans cet article, je corrigerai lorsque je l'aurais reçu et lu.

La prochaine fois, on continue à développer ce sujet des "images & imaginaires en mode décalé" avec deux autres jeux, deux frangins: Into the Odd et Electric Bastionland, de Chris McDowall. 

Toutes les photos de ce post sont issues de cet article. Merci à son auteur·e.

¹ Cet univers ludique c'est celui de M le jeu de rôle bien évidemment. 

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