Extrait de la couverture de L'Encyclopédie du Maître. Par Olivier Ledroit. |
J'ai initié un fil sur Casus NO sur le sujet: "Et si le premier JdR avait été francophone ?". À raison puisque les forumistes ont débordé d'inspiration et d'imagination. Avec l'accord des auteur·es, je vous refile les meilleurs morceaux. Aujourd'hui: François Marcela-Froideval.
Pendant ce temps, dans un univers parallèle...
Pendant ce temps, dans un univers parallèle...
Une petite histoire (alternative) du jeu de rôle
Première partie : les précurseurs
Lors de la troisième Croisade, au XIIe siècle, le comte Guillaume VII d'Angoulême (?-1186) participe au siège d’Acre. C’est dans la bibliothèque de la ville qu’il tombe sur un trésor réputé perdu: le de bellis multitudinis. Mentionné par Jules César dans sa Guerre des Gaules, ce de bellis multitudinis (ou DBM) est un "jeu de guerre", utilisé par les stratèges romains pour simuler les batailles et former les futurs officiers de leurs légions. Le texte est accompagné de plusieurs dés. Si la plupart sont des dés cubiques classiques, et déjà connus en occident à l’époque, un autre possède pas moins de vingt faces, numérotées en latin, de I à XX. C’est le dé Oracle, qui sert d’après le texte à mettre en place la partie et à répondre aux questions des joueurs ne concernant pas les affrontements eux-mêmes.
Si les règles du DBM sont relativement courtes, elles n’en sont pas moins complexes et nécessitent l’usage de plusieurs tables et concepts mathématiques compliqués, à l’image de la Rithmomachie. Cette curiosité reste dans les archives du château d’Angoulême pendant des siècles.
Au XVIe siècle, Charles d'Angoulême (1522-1545), fils de François 1er, est paralysé suite à une chute de cheval. Un membre de sa cour, le baron de Saint-Gaudens, qui a lu le DBM lors de ses études, le ressort des archives ducales et en simplifie grandement les règles. Toute la partie "bataille" est évacuée, ainsi que les dés cubiques associés, ne gardant que le dé Oracle destiné à répondre à l’imprévu. Le jeu se résume alors à une unique table, c’est la fameuse "Charte Angoumoise". Le propos du jeu est déplacé de la guerre à la chasse. Le duc et ses amis sont notés selon leur qualité de chasseur, qu’ils testent sur le dé Oracle. Pour les situations ne dépendant que du hasard, une autre colonne de la charte est utilisée.
Citons le Père d'Estebac, chroniqueur de l’époque : "Quel plaisir de voir ces Messieurs en grande tenue chassant le cerf imaginaire ! Monsieur le Duc, de son lit, dirige avec une grande élégance les opérations. Cet aimable divertissement anime d'une vie nouvelle les longues heures que l’accident de Monsieur le Duc avait privé de joies" [cité par les historiens Guillaume Rohmer et Stéphane Daudier dans le Recueil Universitaire National des Études Scientifiques, ou RUNES (numéro 4, juillet-août 1983].
Le Jeu de la Chasse entre alors dans les salons et fumoirs de l’aristocratie française, et il n’en sortira qu’à la Révolution. Napoléon Bonaparte en ayant évidemment eu connaissance, même si rien ne prouve qu’il y ait lui-même joué, il va profondément transformer le jeu selon ses desseins.
Tout d’abord, il lui redonne son cadre militaire. Pour autant, il ne reprend pas le système de combat de DBM, gardant l’idée d’un dé Oracle qui résout les coups du destin. Son Jeu des Stratèges réunit un état-major lors d’une bataille. Les joueurs sont des commandants, qui doivent jouer leur rôle comme s’ils étaient véritablement en situation de guerre. Ils reçoivent des nouvelles de leurs troupes et leur envoient des ordres via des messagers.
Bien sûr, ceux-ci ne communiquent pas avec de vraies troupes, mais avec un maître de guerre (ou MG), installé dans une salle voisine. Celui-ci rédige les missives et décide du résultat des affrontements, à l’aide de son expérience et de quelques jets de dés en cas d’incertitude.
Des variantes du Jeu des Stratèges sont ainsi pratiquées pour entraîner ses généraux à toutes sortes de situations : gestion du ravitaillement, négociation avec une cité assiégée, gouvernement d’une province rebelle, et ainsi de suite. Pour corser la chose, Napoléon a l’idée de donner à chaque joueur des objectifs différents, et parfois contradictoires. Ces scénarios se déroulent souvent dans la ville fictive de Braunstein.
Le Jeu des Stratèges est intégré à l’enseignement de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, fondée par Napoléon 1er en 1802.
Deuxième partie : l’invention du jeu de rôle
À la toute fin des années 70, un étudiant de Saint-Cyr, Alain Ledoux, crée un fanzine sur le Jeu des Stratèges, qu’il appelle naturellement Jeux & Stratégie. Des scénarios sont proposés en encart. Cependant, une partie classique est complexe à mettre en place, puisqu’il faut disposer de deux pièces séparées, de volontaires pour porter les messages et de temps, tous les échanges entre le maître de guerre et les joueurs se faisant à l'écrit.
C’est dans un fanzine que naîtra la révolution. François Marcela-Froideval, qui a goûté au Jeu des Stratèges via des amis saint-cyriens, et a déjà écrit pour Jeux & Stratégie, crée le fanzine Casus Belli. Initialement, ses pages se consacrent donc à la forme classique du jeu.
Mais FMF, lecteur de littérature fantastique, développe un scénario dans un univers imaginaire, peuplé de lutins, de vouivres et d’enchanteurs. De plus, il adapte les règles à son goût. Le MG n’est plus dans une salle séparée, mais assis à la même table. Les messagers et les missives n’ont plus d’utilité, les joueurs discutant directement avec le maître. Mais ce n’est pas tout. Alors que les joueurs du Jeu des Stratèges donnent des ordres à des troupes ou des agents, et n’agissent pas eux-mêmes, les joueurs de FMF incarnent un personnage, qui est présent "sur le terrain", en fait, dans leur imagination. Le jeu de rôle est né.
Le principe, décrit dans les premiers numéros de Casus Belli, attire l’attention. Plus facile à organiser que le Jeu des Stratèges, d’un thème moins guerrier, il se diffuse rapidement en dehors des écoles militaires, dans les grandes écoles parisiennes (à l’ENS notamment), puis dans les universités.
En 1982, FMF est contacté par Peter Watts, fondateur de Jeux Descartes, qui lui propose de le publier. Alors, il compile ses articles de Casus Belli et les met à jour dans un long document. Illustré et mis en page par un collaborateur de Casus Belli, Didier Guiserix, sort ainsi le tout premier jeu de rôle: Les Chroniques de la Lune noire.
La (mythique) "boîte noire".
[Photomontage d'Olivier Fanton, d'après la couverture, par Olivier Ledroit, du jeu de plateau Ave Tenebrae. Un jeu de... François Marcela-Froideval!]
[Photomontage d'Olivier Fanton, d'après la couverture, par Olivier Ledroit, du jeu de plateau Ave Tenebrae. Un jeu de... François Marcela-Froideval!]
Le premier tirage des CLN, dit "la boîte noire" est écoulée en deux mois. Un deuxième tirage, dit "boîte grise", est lancé, qui se vend lui aussi rapidement. Casus Belli consacre alors l’essentiel de sa pagination aux CLN, avec des articles présentant des erratas, de nouvelles règles et options et, bien sûr, des scénarios.
Même Jeux & Stratégie se met à ce nouveau type de jeu, délaissant peu à peu le Jeu des Stratèges, qui n’occupera plus que 10% du magasine à la fin des années 80.
Troisième partie : la famille s’agrandit
En 1983, fort du succès des Chroniques, Jeux Descartes négocie avec Dargaud les droits des bandes dessinées Astérix, Lucky Luke et Valérian et Laureline. Débordé par la rédaction de la seconde édition des CLN, il engage alors d’autres auteurs pour écrire ces adaptations en jeu de rôle.
Fin 1983 sort d’abord Lucky Luke, premier jeu de western. Doté d’un système de duel compliqué pour l’époque et d’un thème peu accrocheur, le jeu aura un succès relatif.
Lucky Luke, le jeu de rôle. [Photomontage d'Olivier Fanton à partir d'une illustration de Morris et d'une boîte de Boot Hill.] |
Courant 1984, échaudés par l’échec de Lucky Luke, Jeux Descartes sort Valérian et Laureline, de Michel Brassinne et Didier Guiserix, sous la forme d’un hors série de Casus Belli. Le succès est, cette fois, au rendez-vous.
Couverture du HS Jeux & Stratégie "Valérian et Laureline". [Photomontage d'Olivier Fanton à partir d'une illustration de Jean-Claude Mézières et d'une couverture de feu Jeux & Stratégie.] |
Fin 1984, Astérix sort en grande pompe. Confié aux historiens Guillaume Rohmer et Stéphane Daudier, le jeu surprend par sa rigueur historique et par la simplicité jugée excessive de son système. Si les ventes ne déçoivent pas, les critiques sont, elles, mitigées.
Astérix, le jeu de rôle! [Photomontage d'Olivier Fanton à partir d'une illustration d'Albert Uderzo et d'une boîte de – je suppose – Légendes Celtiques.] |
La seconde édition des CLN, annoncée elle aussi pour 1984, est retardée.
Pendant ce temps, de nouveaux éditeurs voient le jour, avec des jeux plus ou moins inspirés des CLN. Le premier est Jeux Actuels, qui propose La Première Épreuve en 1983. Si le thème est similaire, les règles sont très différentes, les joueurs mettant en commun des poignées de dés à six faces pour résoudre les combats.
Suivront, chez divers éditeurs, Les Terres médianes, de Denis Gerfaud, Asphalte de Croc, Après Charlemagne, de François Nedelec, le premier à sortir chez un éditeur classique, ou encore HLM d'Éric Bouchaud, Marc Nunes et Nicolas Théry.
Citons également la vague des labyroles. Créés à l’origine par Didier Guiserix dans Jeux & Stratégie, ils mêlent labyrinthe classique et jeu de rôle en solitaire, puisque les salles renvoient à des paragraphes où le joueur doit se battre ou résoudre des énigmes. Ils seront édités par Gallimard dans une nouvelle collection (Les Labyrinthes dont vous êtes le héros) qui connaîtra un franc succès et quelques imitateurs.
En 1985, lassé d’attendre la fin de la rédaction de la seconde édition des CLN, Peter Watts confie à Pierre Rosenthal un projet de simplification du jeu. (Par exemple, les personnages ne sont plus définis que par quatre composantes: corps, instinct, cœur et esprit.) La boite Initiation aux Chroniques de la Lune noire sort pour Noël, et entérine définitivement la mode du jeu de rôle. Distribuée dans les grandes chaînes de jouets et les catalogues de vente par correspondance, on estime ses ventes à plus de 100 000 exemplaires. Les droits de traduction sont achetés par des éditeurs anglais, allemands et italiens.
Les Règles Avancées des Chroniques de la Lune noire sortiront enfin en 1986, sous la forme de trois livres cartonnés : Le Livret des règles, Le Bestiaire fantasmatique, et enfin L’Encyclopédie du Maître. Mais c’est une autre histoire...
Tout ce qui précède provient de la plume d'Olivier Fanton, via Casus NO. Un grand merci à lui et encore bravo! [Olivier Fanton qui avait déjà contribué sur mon ancien blog avec une table de rencontre aléatoire haut-normande pour Rifts]
François Marcela-Froideval, le "papa" du Jeu de Rôle. |
Pitié, arrête avec ça: j'ai peur que tu aies raté de nombreux jets de SAN (effets secondaires du confinement ?), la chronique d'hier m'avait paru revenir dans les clous et j'étais un peu plus rassuré, mais maintenant... je suis perdu. Frag
RépondreSupprimerÇa ne durera qu'un temps, t'inquiète pas. (sauf "M le jeu de rôle" où j'ai vraiment envie d'écrire/tester des trucs)
RépondreSupprimerDemain j'ai six autres rencontres sexy mais dangereuses pour te rassurer.
Pour être précis, c'est une boîte de "Premières légendes". :)
RépondreSupprimerPour être précis, si la collection s'appelle effectivement "Premières Légendes" , la boîte s'appelle bel et bien "Légendes Celtiques". :-)
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