David Arnaud (au lendemain d'une baston contre des "fascistes"). Illustration de Paul Cauuet. |
David Arnaud a longtemps préféré le communisme révolutionnaire aux jeux de simulation. C'est sa rencontre avec Guy Debord qui l'amène à s'intéresser d'abord aux wargames puis, ensuite, aux jeux de guerre avec figurines. Et oui: sans le situationnisme, pas de jeu de rôle!
Professeur agrégé d'Histoire du XIXe siècle, David Arnaud est contraint de quitter La Sorbonne suite à son engagement aux côtés des étudiants et ouvriers en mai 68. Contre toute attente, c'est dans la très conservatrice Suisse qu'il va continuer sa carrière d'enseignant, à l'Université de Genève. Il y fait la connaissance de David Judicieu qui va l'initier à ses parties de Pierrebrune. Parallèlement, il garde ses contacts et amitiés au sein des milieux communistes anti-staliniens parisiens. Si il se définit lui-même comme "situationniste", on lui connaît une forte attirance pour le maoïsme tout au long des années 70. Il essaiera d'ailleurs de créer des règles de jeu de guerre, puis de jeu de rôle par la suite, basées sur le jeu de go. En vain.
David Arnaud aime jouer, puis arbitrer, à Pierrebrune pour sa dimension "politique". Les bouleversements que connaît la France de 1789 jusqu'en 1914 sont sa grande passion – et son gagne-pain: il est professeur d'Histoire contemporaine, pour rappel – et il est convaincu que les jeux de simulation illustrent, eux-aussi, la lutte des classes en cours. David Arnaud aime aussi l'occultisme et la littérature fantastique des XIXe et XXe siècles. D'ailleurs, il aimerait bien introduire un peu plus de "merveilleux scientifique" dans ses parties de Pierrebrune. Notamment, il adore les œuvres de Jules Verne ("même si c'est une crapule réac!"), Jean Ray, Stefan Wul, Jimmy Guieu... Mais David Judicieu se refuse à mettre des éléments SF ou Fantastique dans "son" jeu, prétextant que Pierrebrune est un jeu "réaliste", "sérieux", "pour adultes"... On n'est pas là pour déconner.
Au début des années 70, David Arnaud commence à mener une "campagne" dans un nouveau décor: Sombres landes. Un décor qui sent bon la France de la Restauration au Second Empire, ça reste dans la continuité de Pierrebrune. Mais un décor qui s'avère être totalement rétro-futuriste et fantastique puisque David Arnaud y introduit la science futuriste des écrits de Jules Verne et Albert Robida ainsi que des créatures fantastiques sorties tout droit des œuvres de Maupassant et Lautréamont. Les joueurs et joueuses découvrent la contrée des Sombres landes, rencontrent ses étranges habitant·es, certain·es humain·es d'autres non, en explorent les recoins et cherchent à en percer les mystères. Tout ça sur le fond de luttes politiques entre "progressistes" et "conservateurs".
Sombres landes demeure un "jeu de guerre" avec figurines mais on se rapproche du jeu de rôle: un "PJ" par joueur ou joueuse, des phases d'action et d'interaction sans combat, une progression des PJ au fil des parties, un·e arbitre...
Pour jouer et faire jouer à Sombres landes, David Arnaud commence à utiliser les règles de Brigandine. Ce qui va l'amener à faire la connaissance de Gérard Gigasse.
Gérard Gigasse (à la recherche de l'inspiration). Illustration de Paul Cauuet. |
Gérard Gigasse n'a rien d'une "gigasse" (contrairement à David Arnaud qui lui, pour le coup, est vraiment grand et maigre). Rondouillard et bon vivant, ce fils d'une paysanne aveyronnaise et d'un fonctionnaire helvétique, aime le vin du Valais, la bonne chère, les femmes... Et les jeux.
Après la Matière de France et les fabliaux – il est professeur de littérature médiévale à l'Université de Genève –, les wargames constituent sa grande passion. D'abord féru de conflits contemporains, il finit par revenir à ses anciens amours: le Moyen Âge et la Renaissance. Très rapidement, il commence à bricoler ses propres règles (inutilement complexes pour la plupart des personnes qui l'ont connu) et finit par publier un système de règles pour simuler des batailles et escarmouches médiévales. Gérard Gigasse y introduit des éléments fantastiques issus des mythes, contes et légendes ainsi que de la littérature francophone du XIe au XVIIIe siècle.
Gérard Gigasse et David Arnaud font connaissance dans les couloirs de l'Université de Genève puis autour des tables de jeu des deux côtés de la frontière franco-suisse. L'un et l'autre prennent l'habitude de se solliciter pour des points de règle précis, bien qu'ils n'en aient pas forcément la même approche. Gérard Gigasse est très attentif à l'aspect "simulation" de ses parties. En théorie du moins car, en pratique, les règles qu'il élabore ne sont guère plus réalistes que celles du Monopoly ou des Petits chevaux. À l'inverse de Gérard Gigasse, David Arnaud n'a aucune aspiration à créer des règles simulationnistes. Le "souci du réel" lui apparaît comme "une lubie bourgeoise ploutocratique" ou, parfois, "une manifestation du matérialisme stalinien le plus vulgaire".
Gérard Gigasse veut faire plus que jouer, il veut aussi gagner des sous. En 1973, il crée TSR, "Tacticiens et Stratèges du Rouergue", pour publier le futur jeu qu'il a commencé à élaborer avec David Arnaud. Ce dernier se moque régulièrement des velléités entrepreneuriales de son collègue et ami. D'ailleurs il appelle "Tangentes Surréalistes Révolutionnaires" la nouvelle société et ne participe pas à sa fondation. Juste ça ne l'intéresse pas. En tous cas, beaucoup moins que la chute programmée du capitalisme, les bagarres contre les militants d'extrême-droite et la belote coinchée.
Si ces deux là ne se ressemblent guère, ils se sont néanmoins trouvés suffisamment d'atomes ludiques crochus pour rédiger un jeu ensemble. L'un et l'autre veulent s'affranchir des contraintes du wargame et de son tropisme militaire. Tous les deux veulent créer quelque chose de moins terre à terre et plus "fantastique". Il leur manque encore une sauce pour lier toutes les idées et envies qui les animent. Cette sauce ils vont la trouver dans la réserve de la bibliothèque de l'Université de Lausanne. Au milieu de ses rayons poussiéreux, ils vont découvrir un trésor méconnu: le Manuscrit trouvé à Nohant-Vic. (la suite bientôt!)
Après la Matière de France et les fabliaux – il est professeur de littérature médiévale à l'Université de Genève –, les wargames constituent sa grande passion. D'abord féru de conflits contemporains, il finit par revenir à ses anciens amours: le Moyen Âge et la Renaissance. Très rapidement, il commence à bricoler ses propres règles (inutilement complexes pour la plupart des personnes qui l'ont connu) et finit par publier un système de règles pour simuler des batailles et escarmouches médiévales. Gérard Gigasse y introduit des éléments fantastiques issus des mythes, contes et légendes ainsi que de la littérature francophone du XIe au XVIIIe siècle.
Gérard Gigasse et David Arnaud font connaissance dans les couloirs de l'Université de Genève puis autour des tables de jeu des deux côtés de la frontière franco-suisse. L'un et l'autre prennent l'habitude de se solliciter pour des points de règle précis, bien qu'ils n'en aient pas forcément la même approche. Gérard Gigasse est très attentif à l'aspect "simulation" de ses parties. En théorie du moins car, en pratique, les règles qu'il élabore ne sont guère plus réalistes que celles du Monopoly ou des Petits chevaux. À l'inverse de Gérard Gigasse, David Arnaud n'a aucune aspiration à créer des règles simulationnistes. Le "souci du réel" lui apparaît comme "une lubie bourgeoise ploutocratique" ou, parfois, "une manifestation du matérialisme stalinien le plus vulgaire".
Gérard Gigasse veut faire plus que jouer, il veut aussi gagner des sous. En 1973, il crée TSR, "Tacticiens et Stratèges du Rouergue", pour publier le futur jeu qu'il a commencé à élaborer avec David Arnaud. Ce dernier se moque régulièrement des velléités entrepreneuriales de son collègue et ami. D'ailleurs il appelle "Tangentes Surréalistes Révolutionnaires" la nouvelle société et ne participe pas à sa fondation. Juste ça ne l'intéresse pas. En tous cas, beaucoup moins que la chute programmée du capitalisme, les bagarres contre les militants d'extrême-droite et la belote coinchée.
Si ces deux là ne se ressemblent guère, ils se sont néanmoins trouvés suffisamment d'atomes ludiques crochus pour rédiger un jeu ensemble. L'un et l'autre veulent s'affranchir des contraintes du wargame et de son tropisme militaire. Tous les deux veulent créer quelque chose de moins terre à terre et plus "fantastique". Il leur manque encore une sauce pour lier toutes les idées et envies qui les animent. Cette sauce ils vont la trouver dans la réserve de la bibliothèque de l'Université de Lausanne. Au milieu de ses rayons poussiéreux, ils vont découvrir un trésor méconnu: le Manuscrit trouvé à Nohant-Vic. (la suite bientôt!)
David Arnaud et Gérard Gigasse sont des personnages fictifs et ne doivent pas être confondus avec des personnes réelles. Toute coïncidence serait purement fortuite. Ou presque. Gary Gygax et Dave Arneson ont vraiment existé, quant à eux. Si j'ai pu être tenté un moment, de faire ressembler Gérard Gigasse à Gary Gygax et David Arnaud à Dave Arneson, ça m'est passé assez rapidement et les deux auteurs (imaginaires) de M le jeu de rôle ont fini par s'affranchir de leurs illustres modèles et par acquérir leur identité propre. Enfin j'espère.
Les illustrations de David Arnaud et Gérard Gigasse sont des extraits des couvertures de l'excellente série Les Vieux Fourneaux scénarisée par Wilfrid Lupano et dessinée par Paul Cauuet.
Merci à tou·tes les forumistes de Casus NO qui ont contribué à ce sujet sur le forum pour leurs excellentes idées!
Les illustrations de David Arnaud et Gérard Gigasse sont des extraits des couvertures de l'excellente série Les Vieux Fourneaux scénarisée par Wilfrid Lupano et dessinée par Paul Cauuet.
Merci à tou·tes les forumistes de Casus NO qui ont contribué à ce sujet sur le forum pour leurs excellentes idées!
"Gégé, je crois bien que j'ai une idée pour l'univers du jeu!" Illustration de William C. Eaken. |
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