vendredi 9 octobre 2020

Comment TALES FROM THE LOOP a réussi à m'émouvoir

"Keep going stranger."
À m'émouvoir, tout à fait.

Je ne sais pas, plus, quand j'ai entendu parler pour la première fois de Tales from the Loop. Je me souviens juste que ce jeu me faisait méchamment envie. Je trouvais — et trouve encore — les illustrations de Simon Stålenhag particulièrement évocatrices. Et des fictions comme E.T., Les Goonies, Stand by Me ou encore Super 8 et Stranger Things m'inspirent suffisamment pour me donner envie de jouer, ou faire jouer, des enfants et des ados dans des années 80 plus étranges et dangereuses que celles que j'ai connues personnellement (je suis né en 1975).
Je connais bien le Year Zero Engine, le système des jeux publiés par Fria Ligan, l'éditeur de Tales from the Loop, et c'est un système que j'apprécie énormément pour sa simplicité. J'ai eu l'occasion de le tester, en tant que joueur, avec le très sympathique Coriolis.

Séduit par le concept, je me suis procuré le livre de base de Tales from the Loop et ses suppléments, lorsqu'ils sont sortis en VF. Mais, à la lecture des ouvrages, le soufflet est retombé. Je trouvais ça fade.
Premier gros point noir : dans Tales from the Loop, les Enfants (les PJ) ne peuvent pas mourir. Ils peuvent être blessés, épuisés, traumatisés, désespérés... mais pas morts. Or j'avais beaucoup de mal avec l'idée même d'un JdR où on ne pouvait pas voir son perso passer l'arme à gauche. Vraiment.
Autre élément perturbant pour moi : je n'arrivais pas à trouver le monde de Tales from the Loop suffisamment inquiétant. C'était beaucoup trop S-F, et "calme", par rapport aux œuvres de fiction citées plus haut qui me donnaient envie de jouer. Bon, il s'agissait là d'un avis particulièrement biaisé puisque — pour dire la vérité vraie — je n'avais pas lu les scénarios de la gamme mais les avais juste survolés. Ce qui — vous en conviendrez — est un peu foireux pour se faire une idée, même approximative de la proposition ludique d'un JdR...
Toujours est-il que, après réception des ouvrages, Tales from the Loop ne me faisait plus guère envie.

Mais ça c'était avant.

À l'occasion de mon dernier WERBA (Week-End Rôliste Belge Annuel), un pote franco-bruxellois nous a fait jouer le scénario Lord of the Loop (dans le Casus Belli V4 n°29), pour Tales from the Loop donc. Ce scénario se déroule en Suède mais notre MJ l'a fait jouer à Auroreville, le setting français de La France des années 80.
Et j'ai adoré.

Cette partie de Tales from the Loop m'a montré que le jeu de rôle pouvait apporter bien d'autres émotions que celles auxquelles j'étais coutumier jusqu'ici. Jusqu'à cette partie, le jeu de rôle me procurait certaines (très bonnes) sensations : des sensations éminemment liées aux scènes d'action, de baston, d'interaction, d'investigation, de frissons... Des sensations en lien avec celles que je peux éprouver avec les œuvres de fiction que j'affectionne. Des œuvres "de genre" le plus souvent.

Mais le JdR ne m'émouvait pas plus que ça. Jusqu'à ce week-end. Et Tales from the Loop. Où, pour rappel, je jouais une adolescente de 14 ans (une Enfant selon Tales from the Loop mais, à 14 ans, pour une fille, vous conviendrez qu'on est en pleine adolescence) : Judith "tête caillou" Fanon.

Nous étions quatre joueurs mâles mais notre MJ avais expressément demandé que certains parmi nous jouent des PJ filles. Il voulait, entre autres, "une peste": pile poil pour moi ! Il avait aussi demandé à ce que l'on ne joue pas des rôlistes : il en voit suffisamment au quotidien pour ne pas avoir envie d'en recroiser en PJ dans ses parties.

Judith est une Frimeuse : elle se la pète à mort. Elle se la pète à l'école, où elle se sort les doigts pour faire partie des meilleurs élèves de sa classe. Elle se la pète avec ses fringues, son attitude et sa petite gueule d'ange : Judith est belle et a à cœur que tout le monde le sache et la regarde (et elle ne comprend pas pourquoi certains garçons continuent de yeuter cette cruche de Coralie Martin...). Elle se la pète surtout avec son skate : Judith est douée, très douée, avec une planche et elle prend des risques inconsidérés pour aller plus haut, plus vite, que les autres skateurs — tous des garçons — de sa bande. Judith se la pète tellement qu'elle est un peu seule en définitive... Les gens l'admirent peut-être mais ils ne l'aiment pas. À l'exception des autres Enfants : les PJ du groupe. Et encore, même parmi eux, c'est surtout Clotilde, l'autre fille de la bande, qui ressemble vraiment à une amie. Les deux garçons, plus jeunes (13 ans), sont beaucoup plus indifférents, ou craintifs.
En plus d'être assez isolée, Judith vit des choses pas très cool : le couple formé par ses parents va très très mal et la rupture est proche. Judith pense que ses parents s'engueulent "à cause d'elle". À tort : Monsieur et Madame Fanon ont, tou·tes les deux, une liaison extra-conjugale et leur désamour n'est plus très loin du niveau du plancher.
Accessoirement, le père de Judith ne supporte pas que sa fille fasse du skate (et fréquente des skateurs) et lui prend régulièrement la tête à ce sujet.
Enfin — cerise sur le gâteau d'un mélodrame adolescent très ordinaire — Judith est amoureuse — même si elle a du mal à se l'avouer — du beau Diego Ramirez, un garçon de 15 ans, fils de réfugié·es argentin·es, membre de la petite troupe de skateurs qui taquinent les dalles du parvis d'Auroreville. Mais cette pauvre Judith prend tellement les autres de haut que ce pauvre Diego, pour peu que la jeune fille lui plaise effectivement, n'ose guère s'approcher d'elle.

Bref, c'est pas la grosse patate pour Judith Fanon.

C'est tellement pas la grosse patate que, pour la toute première fois de ma vie de rôliste, j'ai été ému par mon PJ. Ne vous moquez pas : j'ai un cœur moi ! Et j'ai ressenti cette émotion dès ma présentation de mon personnage aux autres joueurs, me disant en mon for intérieur : "mais quelle pauvre fille quand-même..."

Le MJ a laissé de la place pour le "drama" en début de partie, afin, je suppose, de présenter les PJ et leur quotidien gris et terne. L'intrigue avançant, cette part du récit s'est réduite, le Mystère à résoudre prenant de plus en plus d'importance. Et pour cause : résoudre un Mystère constitue le cœur d'un scénario de Tales from the Loop.
Mais moi je voulais surtout mettre le grappin sur Diego Ramirez. Et que mes parents arrêtent de se détester.
Et, si j'étais emballé par les drames existentiels de la vie adolescente de mon PJ, tel n'était pas forcément le cas de mes comparses. Deux joueurs, sur quatre, étaient focalisés sur la résolution du Mystère et n'ont jamais mis en avant un aspect de leur PJ qui n'était pas inscrit sur leur feuille de perso. Le troisième joueur — qui jouait Clotilde, une Métaleuse et, accessoirement, la meilleure amie de Judith — a un peu plus interprété la partie mélodramatique du scénario. Mais, en définitive, c'est surtout moi qui ait sur-kiffé les émois adolescents des Enfants d'Auroreville. À un moment de la partie, l'angoisse ça n'était plus les mystérieux Men In Black qui patrouillaient dans Auroreville mais le contrôle de maths du lendemain que nos PJ n'avaient pas révisé !

Bon, je dois quand-même préciser que cette partie de JdR a été super bien servie par un MJ au taquet : bien préparé, motivé et impliqué, connaissant les règles et le monde, jouant très bien les PNJ, bonne musique d'ambiance, les illustrations de Simon Stålenhag défilant sur un écran... De l'excellent taf de Meneur !

Que retenir de cette expérience ?

Que, dans nos parties de JDR — pas pour tous les jeux mais pour certains d'entre eux —, ça peut valoir la peine de prêter des sentiments aux PJ et aux PNJ. Et de les jouer. Que l'on peut en retirer beaucoup de plaisir. Moi, j'en ai eu.
J'avais déjà évoqué cet aspect pour M le jeu de rôle : attribuer aux PJ des ami·es, des Amours, des emmerdes. Qu'ils aient une vie en dehors de la seule résolution des Mystères (car, oui, dans M le jeu de rôle, les PJ doivent résoudre des Mystères, comme dans Tales from the Loop).
J'ai envie d'amener ça aussi dans Alastor 66 : que les PJ ne font pas que se confronter aux innombrables dangers de la Lune démoniaque, qu'ils ont, eux aussi, des préoccupations beaucoup plus terre à terre. Des préoccupations qui ne dépareilleraient pas dans un épisode de Plus belle la vie. [Vous en avez eu un avant-goût dans cette petite table...]

Dernière chose : c'était cool de jouer dans les années 80 ! (même dans des années 80 qui n'ont pas vraiment existé) 

Illustration issue du livre d'Art Tales from the Loop, par Simon Stålenhag.

2 commentaires:

  1. Le Meneur est 'achement content que cette partie ait fait vibrer le cœur du GCM ! Et pour ce que ça vaut, j'ai moi-même eu des trémolos dans la voix en évoquant le quotidien pas folichon (certes, j'avais chargé la mule, à dessein) de ces Enfants. Et cela justifie amplement qu'ils se jettent à corps perdu dans la résolution des Mystères ; cela leur permet d'échapper à leur quotidien, à leurs problèmes, à l'école et aux cahots de la vie. Et pour une fois, il n'est pas question de sauver le monde. On est à l'échelle d'Enfants qui ne peuvent (presque) compter que sur eux-mêmes. Je mènerai à nouveau du TFTL, c'est dit !

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    1. J'espère bien mais, maintenant, la barre est placée haut. :-)

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