mercredi 8 juillet 2020

Ce que "devenir berserk" veut dire

Illustration de Daniel Falck (original ici).
L'image du berserker, plus ou moins viking et foncièrement barbare, est familière de la plupart des rôlistes. Un homme (en général), torse poil ou vêtu de peaux de bêtes, avec une arme blanche "massive". Avec l'option "qui pousse des cris de fauve" lorsqu'il devient fou furieux. Tout ça tout ça.
Une image qui, me semble-t-il, a autant contribué au Barbare de D&D que Conan le Cimmérien.

Car, oui, dans un jeu de rôle – dans certains d'entre eux – vous pouvez interpréter un berserker. Vous serez impulsif, costaud et méchant et il y aura une petite ligne de texte pour préciser que "Attention, parfois le berserker ne se contrôle plus et peut taper sur tout ce qui bouge!"
Vous craignez pour les autres PJ? Vous ne devriez pas, je ne connais aucun jeu où un PJ berserker soit dangereux pour ses compagnons. Si, vous, vous en connaissez, dites-moi lesquels.

Et c'est bien dommage. Pousser des cris de bête, baver, rouler les yeux dans ses orbites... Et au final: pschitt. Du vent. Un bonus en chargeant, un autre bonus aux dégâts et puis baste.
Berserkers de pacotille.
Mais moi j'en connais un vrai de berserker. Un qui fout grave les chocottes. Un vraiment dangereux pour ses compagnons.gnes. Un que tu n'as pas du tout envie qu'il "se transforme", même si il est dans ton camp au début. 

Logen Neuf-Doigts.

Connu aussi sous le nom de "Le Neuf Sanglant".

Logen Neuf-Doigts est un personnage récurrent des romans de fantasy de l'écrivain britannique Joe Abercrombie. J'ai découvert l'œuvre de cet auteur avec les trois volumes de La Première Loi puis j'ai enchaîné sur Servir Froid, Les Héros et Pays Rouge. C'est du bon.

Mais est-ce vraiment de la fantasy? L'univers décrit dans ces romans – "le Cercle du Monde" – est fantastique sur ses marges seulement. En dehors des humain·es, il n'existe qu'une seule autre "race" intelligente: les Shankas. Des créatures hostiles – elles font énormément penser aux orcs de nos JdR – et installées sur les frontières du monde connu. La magie et les magiciens se font extrêmement rares. Le seul dragon rencontré est une sorte d'artefact métallique immobile. Les esprits sont de plus en plus silencieux. Les démons n'arrivent plus à accéder au monde matériel. Et cetera.
En fait, il s'agit d'un univers de fantasy qui l'est de moins en moins...

... et qui ressemble de plus en plus au nôtre. Les histoires de Joe Abercrombie m'ont l'air plus influencées par le western (Pays Rouge), le film de guerre (Les Héros) ou Kill Bill (Servir Froid) que par la fantasy telle quelle. Je ne suis même pas sûr que l'auteur aime vraiment ce genre. Je peux me tromper mais j'ai surtout l'impression qu'il fait de la fantasy car c'est un cadre pratique pour amener les histoires et les personnages qu'il affectionne.
Les personnages et les histoires, c'est la grande force des romans de Joe Abercrombie. Ses protagonistes constituent une galerie incroyable d'anti-héro·ïnes (con) damné·es mais sympathiques.

Je vous cite Wikipédia: "Joe Abercrombie est considéré comme l'un des principaux représentants du courant gritty ou grimdark, sous-genre dérivé de la dark fantasy, aux côtés d'auteurs tels que George R. R. Martin, Steven Erikson, Mark Lawrence, Scott Lynch et Richard K. Morgan. Ce courant se caractérise par des univers où la violence et les intrigues politiques sont omniprésentes, une atmosphère très sombre, un contenu assez cru au niveau du sexe et du langage, et des personnages principaux ambivalents, souvent des antihéros. Il décrit ses œuvres de fantasy comme ayant "l'âpreté, la cruauté et l'humour de la vie réelle, où le bien et le mal dépendent de la position que vous avez, comme dans le monde réel".
Il aborde façon récurrente les thèmes de la nature de l'héroïsme, la frontière fluctuante entre les héros et les méchants, et la nature destructrice de la violence et corruptrice du pouvoir. Ses récits sont parsemés d'un humour décrit comme "grinçant et caustique", alors que la caractérisation des personnages, souvent multidimensionnels et capables du meilleur comme du pire, et la fluidité des dialogues sont généralement considérés comme ses principales forces."

Mais revenons à Logen Neuf-Doigts.
Il apparaît dans plusieurs romans de Joe Abercrombie et, par certains côtés, c'est le personnage emblématique de cet auteur et de son univers.
Et quel personnage!
Logen Neuf-Doigts est un guerrier. Un vétéran plutôt doué dans ce qu'il fait : la guerre. La guerre qui ne lui plaît pas tant que ça mais il ne sait pas, plus, faire autre chose. Hormis parler aux esprits mais ceux-ci s'expriment de moins en moins avec le passage des années et Logen n'a plus trop l'occasion de leur faire la causette.

Et Logen Neuf-Doigts est un berserker.

Ou un grand schizophrène. Ou un psychopathe. Ce n'est pas précisé et on ne le saura jamais vraiment.
Lorsque Logen se bat – ce qu'il fait souvent, c'est une brute et un vrai poissard –, il peut arriver que, au cœur de l'action, il "se transforme".
Il ne se met pas à pousser des cris de bête sauvage, à se déshabiller et à rouler des yeux. Non non, il devient juste quelqu'un d'autre: un tueur qui se réjouit de massacrer ses adversaires... et ses ami·es. Car Logen, lorsqu'il se transforme, ne reconnaît plus personne. Il tuerait volontiers le monde entier. Et, d'ailleurs, c'est ce qu'il entreprend de faire, avec application, avant de retrouver ses esprits. 
La "transformation" n'a pas lieu à chaque combat. C'est totalement imprévisible. Et plutôt rare. La plupart de ses compagnon·gnes d'armes ne se sont jamais rendus compte du changement de personnalité de Logen en pleine bataille. Certain·es ne s'en sont jamais rendu·es compte car il·elles se sont fait·es occire par Logen dans la mêlée.

Et c'est comme ça que je vous propose de jouer vos PJ – et PNJ – berserkers. Froidement.
Donnez leur leurs gros bonus à l'attaque et aux dégâts, sans sourciller. Et gardez la possibilité que, au milieu du fracas des armes, le berserker se transforme en machine à tuer et ne reconnaisse plus personne. Uniquement des victimes.

Pour mettre ça en règles de JdR, je pense à deux options.
• Première option. Lors d'un combat, si le PJ obtient un nombre précis (déterminé préalablement avec le MJ) sur son dé, il devient berserk. Je pense à "1" bien évidemment. Problèmes: certains systèmes entraînent plus de jets de dé que d'autres lors d'un combat... et un d20 amènera plus vite un carnage qu'un d100 (sur 01-05% alors ?).
• Deuxième option. Vous pouvez utiliser un dé d'usage, du Black Hack et autres Macchiato Monsters, qui est lancé à chaque fois que le PJ effectue une action de combat. Le PJ devient berserk lorsque le dé d'usage disparaît. Au MJ de voir si on part de Δ6, Δ8, Δ10¹... Le dé remonte à son maximum après un repos court ou long (là encore, au MJ de décider).

Et lisez Joe Abercrombie.

¹ Attention : les "Δ" de Macchiato Monsters (où ils désignent un dé d'usage) n'ont pas le même sens que les "Δ" de Station Mérovée (où ils désignent un seuil de difficulté). Personnellement, pour une ressource décroissante comme les dés d'usage, j'aurais tendance à préférer un nabla – un "∇", avec une pointe descendante – plutôt qu'un delta – un "Δ" qui, symboliquement, indique plutôt l'élévation – mais c'est perso.
"On n'a jamais assez de couteaux." 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire